Pour son deuxième numéro, Archéologies. Sociétés, réseaux, matériaux s’intéresse aux carrières. Ainsi, à travers différents exemples pris en Lorraine, en Auvergne, en Savoie et dans le Gard, avec une périodisation sur le temps long de l’Antiquité aux Temps modernes, les articles présentés permettent d’aborder les questions de l’extraction de la pierre, de sa transformation, de sa diffusion et de sa mise en œuvre. Ce numéro émane d’un webinaire organisé par Hervé Chopin et Charlotte Gaillard pendant le premier semestre 2021 dans le cadre du thème 1, “Chantier : évolution, approvisionnement, sociologie, techniques”, de l’équipe “Archéologie de l’espace médiéval” du laboratoire Arar.
La carrière de l’Estel sud à Vers-Pont du Gard est située sur la rive gauche d’un méandre concave du Gardon, à 500 mètres environ à l’aval du Pont du Gard, ouvrage majeur de l’aqueduc de Nîmes construit au milieu du Ier siècle de notre ère. La carrière est reconnue pour avoir livré les blocs de grand appareil que l’on observe dans la construction du pont aqueduc. Située dans le lit majeur de la rivière, elle est abandonnée à la fin du chantier antique et le site est alors comblé et nivelé par les dépôts de crues. L’exploitation de la pierre de taille n’est rouverte qu’au XVIIIe siècle, lors de la construction du pont routier accolé à l’aval du premier étage d’arches du pont antique. Les stratégies de prévention et protection contre le risque fluvial adoptées dès l’Antiquité en raison de l’identité environnementale de la carrière, avaient préservé les traces diachroniques de l’évolution du paysage et de l’exploitation de la pierre de taille depuis l’Antiquité. Dans ce cadre, la fouille archéologique de la carrière a apporté une large vision des savoirs et des savoir-faire des carriers et des constructeurs depuis cette même période.
Dans le cadre d’un Programme collectif de recherche (PCR), une équipe pluridisciplinaire étudie les conditions d’exploitation, d’utilisation et de diffusion d’une lave, extraite des volcans auvergnats, le trachyte. Au sein de ce collectif, l’étude archéologique de trois carrières de sarcophages du premier Moyen Âge a permis de faire le lien entre les lieux de fabrication et les nécropoles grâce à une signature géologique discriminante entre les carrières. Cette approche renouvelle les problématiques et montre l’exploitation conjointe de plusieurs carrières, dont ont été extraits plusieurs milliers de sarcophages retrouvés en Auvergne mais aussi en Limousin. Leur répartition spatiale montre la proximité des lieux de diffusion avec les anciennes voies romaines, suggérant l’insertion du schéma économique des sarcophages en trachyte dans un réseau déjà en place, soit qu’il ait été réactivé, soit qu’il n’ait jamais réellement disparu.
Terre de pierre, l'espace lorrain reste marqué par l'empreinte de carrières à ciel ouvert dont les dimensions reflètent les apports de la mécanisation au travail d'extraction à partir du XIXe siècle. Pour autant, nombre de carrières plus anciennes se cachent encore dans le paysage. Bien souvent très discrètes, remblayées, leur identification n'est pas toujours aisée, particulièrement celles du Moyen Âge, où les sites d'extractions sont très circonstanciés à l'ouverture d'un chantier de construction. Ce bilan et cette enquête nous mènent donc sur le terrain des petites exploitations médiévales, en tentant de répondre à des problématiques méthodologiques aussi bien que scientifiques.
L’approvisionnement en molasse (grès tendre à ciment calcaire) est cité dans les comptes du château de Ripaille (Haute-Savoie). En étudiant l’évolution architecturale du château, les caractéristiques géologiques de la molasse dans la région, les aspects techniques et les informations sur les carrières, il est possible de reconstituer le travail des artisans et l’organisation des approvisionnements et du chantier. Depuis l’extraction et la pré-taille dans les carrières subaquatiques du lac Léman, les pierres sont transportées par voie d’eau puis par route. La molasse, bien que facile à extraire et à façonner, est une pierre de construction de piètre qualité car le ciment calcaire est peu cristallisé et la roche est poreuse et sensible aux intempéries. C’était cependant un matériau de prédilection au Moyen Âge en raison de sa facilité de mise en œuvre contrairement aux calcaires plus durs, pourtant fréquents et disponibles dans la région.